À la Conscience de l'Humanité
Cette brève déclaration assimilant la cause de la République espagnole à la défense de la culture et de la civilisation dans la lutte contre le fascisme a été publiée dans le journal The Statesman le 3 mars 1937.
«En Espagne, la civilisation mondiale est menacée et piétinée. Contre le gouvernement démocratique du peuple espagnol, Franco a élevé l’étendard de la révolte. Le fascisme international déverse des hommes et de l'argent pour aider les rebelles. Les Maures et les légionnaires étrangers ravagent les belles plaines d'Espagne, semant derrière eux la mort, la famine et la désolation.
Madrid, fier centre de la culture et de l’art, est en flammes. Ses trésors artistiques inestimables sont bombardés par les rebelles. Même les hôpitaux et les crèches ne sont pas épargnés. Les femmes sont assassinées, laissées sans abri et sans ressources.
La vague dévastatrice du fascisme international doit être endiguée. En Espagne, cette recrudescence inhumaine de l'obscurantisme, des préjugés raciaux, de la rapine et de la glorification de la guerre, doit être repoussée définitivement. Il faut éviter que la civilisation ne soit submergée par la barbarie.
En cette heure de suprême épreuve et de souffrance du peuple espagnol, j'en appelle à la conscience de l'humanité.
Aidez le Front populaire en Espagne, aidez le Gouvernement du peuple, criez par millions de voix “Halte” à la réaction, venez par millions au secours de la démocratie, au secours de la civilisation, de la culture.»
L'auteur est Rabindranath Tagore (1861-1941), l'écrivain bengali qui, en 1913, est devenu le premier non-Européen à remporter le prix Nobel de littérature. (Il est montré ici comme un homme âgé dans un dessin de Satyajit Ray). Quelques mois plus tard, après s'être remis d'une grave maladie qui l'avait plongé dans le coma, il écrivit son poème « When my mind was released » (Quand mon esprit a été libéré), inspiré par la destruction de Guernica. Il commence ainsi :
Quand mon esprit a été libéré
de la caverne noire de l'oubli
et s'est réveillé dans une surprise intolérable
il s'est retrouvé au cratère d'un feu d’enfer volcanique
qui crachait une fumée suffocante d'insultes à l'Homme;
En 1936, Tagore accepte de présider la branche indienne du Comité mondial contre la guerre et le fascisme, fondé par son petit-neveu, Saumyendranath Tagore. Penseur politique et organisateur syndical, Saumyendranath écrit un pamphlet sur l'Espagne dans lequel il décrit le conflit comme «une lutte internationale entre les forces réactionnaires du passé et les forces du peuple pour une démocratie et une liberté réelles» et appelle «les ouvriers, les paysans et les jeunes de l'Inde à s'organiser par millions et à se tenir solidement derrière les vaillants combattants d'Espagne».