Les grands cimetières sous la lune

Publié en 1938, Les grands cimetières sous la lune est un livre d’une importance capitale afin de bien saisir la complexité et l’intensité des réaction françaises à la guerre d’Espagne. L’auteur, Georges Bernanos (1888-1948), était un fervent catholique dont les vues s’ancraient fermement à droite, au point de soutenir un temps l’Action française, une organisation nationaliste et monarchiste. Après avoir servi pendant la Première Guerre mondiale, il débuta une carrière d’écrivain et plusieurs de ses romans connurent le succès. Cependant, Bernanos dut bientôt faire face à des problèmes financiers et, en 1934, il partit pour Majorque avec sa famille, où il espérait réduire ses frais. 

Là, il put témoigner des fortes divisions caractéristiques de la politique espagnole. Au début de la guerre d’Espagne, Bernanos prit parti pour les nationalistes et pour les troupes italiennes qui occupaient l’île afin de prévenir toute tentative de reconquête républicaine. Mais l’occupation de l’île par les rebelles eut pour conséquence la répression sauvage et systématique de quiconque était suspect de républicanisme. Au vu de telles atrocités, Bernanos modéra son soutien pour les franquistes. De retour en France en 1937, il relata les nombreuses exactions commises par les nationalistes et critiqua fortement l’archevêque de Palma et d’autres membres du clergé catholique qui avaient soutenu la répression sans montrer beaucoup de compassion pour les victimes républicaines, saisissant cette opportunité pour restaurer le pouvoir de l’Église et les pratiques religieuses. 

Les grands cimetières sous la lune engendra des réactions acerbes dans les milieux de droite, certaines critiques accusant Bernanos de travestir la réalité, voire de trahir ses principes. Il a d’ailleurs été suggéré que seule l’intervention personnelle du pape Pie XI empêcha que le livre fût censuré. Perturbé par les divisions politiques dans son propre pays, qui lui rappelaient celles qui gangrénaient l’Espagne, Bernanos réaffirma ses convictions catholiques mais maintint sa condamnation de la trahison des valeurs chrétiennes de l’autre côté des Pyrénées. 

Bernanos et sa famille quittèrent la France en 1938, cette fois pour le Brésil, et ne revinrent qu’à la fin de la guerre, en 1945. De l’étranger, il condamna le régime de Vichy et sa politique collaborationniste avec l’occupant nazi et apporta son soutien à Charles de Gaulle. Cependant, il ne s’enthousiasma pas pour la situation politique dans la France d’après-guerre et partit pour la Tunisie en 1947. Souffrant d’un cancer, il revint en France, où il mourut en 1948. 

Les grands cimetières sous la lune constitue un témoignage précieux des atrocités commises par les franquistes pendant la guerre d’Espagne. Ce livre eut aussi un impact durable en France des décennies après la fin de la guerre civile. La perspective de Bernanos offre un exemple de l’imprévisibilité des prises de position et des changements de points de vue au cours d’un conflit opposant des camps clairement définis. 

SK