Mémorial d'Ángel Sanz Briz, Budapest
Le bilan du régime franquiste en ce qui concerne l’Holocauste peut se situer quelque part sur le continuum entre les actions des nazis et de leurs alliés à une extrémité, et la passivité des démocraties, à l’autre. L’Espagne de Franco a admis environ 15 000 Juifs, mais la quasi-totalité d’entre eux n’ont eu que cinq jours pour transiter et quitter le pays. Jusqu'à la mi-1940, les personnes légalement admises devaient présenter les documents suivants : passeport en cours de validité, visa de sortie de France, visa d'entrée et de transit en Espagne et billets d'embarquement à partir de ports espagnols ou portugais.
Ces conditions s’aggravent avec la défaite de la France en juin. Le régime de Vichy refuse de laisser les réfugiés franchir sa frontière avec l'Espagne. De son côté, la police espagnole adopte une attitude plus sévère, et expulse plus de personnes qu'auparavant, qui ont également plus de difficultés à obtenir tous les documents nécessaires pour remplir les conditions légales d’entrée en Espagne. Si les autorités espagnoles les rejettent, les réfugiés se retrouvent entre les mains de la police de Vichy ou des nazis. Dès lors, les passages clandestins se multiplient. La plupart des clandestins sont capturés avant d'atteindre le Portugal. Ils entament alors un parcours du combattant à travers différents centres de détention.
Dans cette sombre histoire, il y a eu quelques hommes et femmes de bien qui, bien que représentant l'État fasciste espagnol, ont réussi à aider quelque 8 000 Juifs. Ils y sont parvenus en allant à l'encontre des ordres de Madrid et en utilisant leur autorité limitée pour manipuler les auteurs de ces actes. Cependant, ils ont d’abord tenté de faire part de leur inquiétude en transmettant à leurs supérieurs l’ampleur de la catastrophe humaine en cours et la nécessité d’intervenir. Miguel Ángel de Mugurio, ambassadeur d'Espagne à Budapest, a envoyé plus de vingt communiqués à ses supérieurs pour dénoncer les décrets contre les Juifs hongrois.
En juin 1944, son remplaçant, Ángel Sanz Briz (dont le mémorial à Budapest figure sur la photo), transmet au ministre espagnol des Affaires étrangères un rapport sur Auschwitz, qui contient des détails sur l'utilisation des chambres à gaz. Découragé par le silence de Madrid, il décide d'agir seul. Il loue des maisons pour abriter des juifs persécutés, qu’il place sous la protection de son ambassade. Il délivre également des lettres de protection à des particuliers. Au total, Briz a sauvé environ 5 000 personnes. Yad Vashem a reconnu Briz comme Juste parmi les Nations.
D’autres diplomates espagnols ont également sauvé des juifs en Roumanie, en Grèce, en Bulgarie, en France, en Allemagne et en Italie. Au péril de leur carrière, ils ont profité du chaos des derniers mois de la guerre et de la difficulté de communiquer avec leurs supérieurs pour agir contre la volonté de Madrid. C'est pourquoi ils sont restés silencieux pendant des décennies sur leurs actions. Ironiquement, la dictature franquiste s'est ensuite cyniquement emparée de leurs bonnes actions pour étayer ses prétentions fallacieuses d'avoir été un bienfaiteur des Juifs persécutés.