Lettre d'Archibald Dickson depuis Oran
Creator: Dickson, Archibald (1892-1939)
Date Created: 1939-04-03
Extent: 1 item
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Archibald Dickson a envoyé cette lettre d'Oran au rédacteur en chef du Sunday Dispatch de Londres en avril 1939. Ce Gallois, âgé de quarante-sept ans, est le capitaine du navire britannique Stanbrook, arrivé dans le port algérien six jours plus tôt après un voyage éprouvant depuis Alicante.
L'année précédente, Dickson avait commandé des navires qui faisaient du commerce avec l'Espagne républicaine. Les deux derniers voyages avaient eu lieu à bord du Stanbrook, un petit cargo ne pouvant accueillir que vingt-quatre membres d’équipage. Le navire est arrivé à Alicante le 19 mars, mais « en raison de la perturbation des affaires partout », il n’a reçu aucune instruction sur la cargaison qu’il devait charger. Le 26 mars, il entreprend le dangereux voyage jusqu’à Madrid pour obtenir des informations et il est informé que la cargaison est en route. Un télégramme des propriétaires du navire l’attend à son retour à Alicante. S’il n'y a pas de réelles chances d'obtenir une cargaison, il doit « reprendre la mer immédiatement ».
Une partie de la cargaison a été livrée le lendemain. Au même moment, une masse de réfugiés fuyant l'avancée des troupes franquistes, se rend sur le dernier port (avec Almería) aux mains des Républicains. Les autorités locales demandent à Dickson de les emmener à Oran où, parce que « leurs passeports étaient en règle, ils pourront être débarqués... facilement ». Dickson est « dans l’embarras ». Ses instructions étaient de « ne pas prendre de réfugiés à moins qu'ils ne soient vraiment dans le besoin », mais en voyant leur condition misérable, il décida « d'un point de vue humanitaire de les prendre à bord ».
À 21 heures, quelque 900 personnes avaient embarqué « de manière ordonnée », mais l’ordre et la discipline se sont alors effondrés, certains gardes et douaniers se joignant même à la bousculade. Lorsque le Stanbrook prend finalement la mer à 11 heures, il y a 2 638 réfugiés à bord. Dickson n'a jamais rien vu de tel en 33 ans de mer. Le navire a à peine levé l’ancre qu’Alicante et le port sont bombardés depuis les airs.
Le voyage vers Oran se déroule sans incident, bien que des centaines de réfugiés passent la nuit froide sur le pont, faute de place à l’intérieur, mais la promiscuité les contraints à rester debout. Dickson n’a que « du café chaud et un peu de nourriture » à offrir aux « réfugiés les plus faibles ». Heureusement, beaucoup emportent leur propre pain. Ils atteignent la baie d'Oran au bout de vingt heures, mais doivent y passer une nuit au mouillage avant de recevoir l'autorisation d'accoster. Il faut attendre encore un jour avant que les femmes et les enfants puissent débarquer. Six jours plus tard, M. Dickson joint une note manuscrite indiquant que 1 500 hommes réfugiés se trouvent encore à bord. Lorsqu’ils sont finalement autorisés à débarquer, ils sont envoyés dans des camps de concentration ou de travail.
Le 18 novembre, le Stanbrook est coulé par un sous-marin allemand. Le capitaine Dickson et tout son équipage disparaissent. Selon un témoin, lorsque la nouvelle est arrivée dans les camps de concentration algériens, les prisonniers espagnols ont observé une minute de silence.