Le Sort d'un Instituteur Républicain
Repository: Flickr
Creator: Sergi Bernal
Repository: Desenterrant el silenci
Source:
Reference Code
https://www.flickr.com/photos/sergi_bernal/6895625719/in/album-72157624851200346/
Date Created: 2012-02-18
Type: Photograph
Extent: 1 item
Ces pages font partie d’un cahier « La Mer. Une vision d’enfants qui ne l’ont jamais vue. » créé en 1936 par les élèves de l’école du village de Bañuelos de Bureba (Burgos) sous la direction de leur instituteur, Antonio Benaiges. Sa famille garda ce cahier comme s’il s’agissait d’un trésor. Natif de Mont-roig del Camp à Tarragone, ce Catalan de 31 ans arriva au village de 198 habitants en 1934. Il appliquait la méthode innovatrice Freinet, une pédagogie qui faisait travailler les élèves en groupes pour créer des produits utiles en se basant sur leurs propres intérêts et expériences. Cela incluait la publication d’un cahier comme celui-ci, avec l’utilisation d’une presse primitive. Pour ce projet, Benaiges demanda à ses élèves d’imaginer « à quoi ressemble la mer ? », et leur promit qu’en été il les emmènerait en Catalogne pour la voir.
Il ne put jamais tenir sa promesse. Le lendemain de la rébellion militaire, Benaiges, dont la pédagogie innovatrice avait provoqué soupçon et ressentiment, fut arrêté à Briviesca. Le lendemain, un groupe de Phalangistes alla à Bañuelos, mis l’école sens dessus dessous, brûlant tout ce qu’ils trouvèrent, dont les cahiers des élèves. Benaiges fut torturé, publiquement humilié avant d’être tué le 25 juillet. Avec 400 autres corps, son cadavre termina dans une fosse à La Pedraja, à quelques 25 kilomètres de Burgos à côté de la route nationale.
Benaiges fut l’une parmi les milliers de victimes de la répression des rebelles, mais son cas et le cahier que ses élèves créèrent, illustrent le fait que le projet éducatif de la République fut une cible privilégiée.
L’article 48 de la Constitution de 1931 proclamait que « L’enseignement primaire sera gratuit et obligatoire. L’enseignement sera laïc…et s’inspirera des idéaux de la solidarité humaine. » L’Église pouvait avoir ses propres écoles où la religion était enseignée, mais elle serait soumise « à l’inspection de l’État ». Les premiers gouvernements républicains agirent énergiquement pour réaliser ces objectifs, construisant de nouvelles écoles, embauchant des professeurs et augmentant leur salaire, mettant en place un nouveau plan d’études pour la formation des instituteurs, introduisant la coéducation, entre autres choses. Il n’y avait pas une pédagogie républicaine officielle, mais des méthodes comme celle de Freinet s’ajustaient parfaitement avec les objectifs du nouveau régime, et Antonio Benaiges était un modèle du nouvel instituteur de la République.
L’enseignement fut également crucial pour les franquistes, et pour cela les instituteurs furent une cible de la violence durant les premiers mois de la guerre. Dans la seule province de Burgos, où la répression fut relativement mineure, il y eut une quarantaine d’instituteurs morts ou « disparus ». Après les tueries initiales, toute la profession fut l’objet d’une purge bureaucratique. Un quart des instituteurs fut puni d’une forme ou d’une autre, et dix pour cent fut définitivement renvoyé. Ils furent substitués par des prêtres, des vétérans nationalistes et des nouveaux professeurs formés avec les idées de la nouvelle dictature franquiste. Quand l’école de Bañuelos rouvrit ses portes, il y avait dans la salle de classe un crucifix et un nouveau drapeau bicolore.
La purge arriva jusqu’à la tombe. En décembre 1939, dans une humiliation posthume, la Commission Purificatrice Nationale de l’enseignement primaire de Burgos punit Benaiges, qui était mort depuis plus de trois ans, avec « l’exclusion définitive » de son poste d’enseignant.