Les Phalanges de l’Ordre noir
Creator: Christin, Pierre
Contributor: Bilal, Enki
Date Created: 1937
Type: Graphic Novel
Extent: 1 item
48.85889, 2.32004
Publié quatre ans après la mort de Franco, Les Phalanges de l’Ordre noir est un roman graphique sur un groupe de vétérans de la XVe Brigade – aussi connue sous le nom de Brigade Lincoln – qui reprennent les armes à la suite d’un massacre de villageois aragonais par une organisation néofasciste. Tout au long de l’histoire, écrite par Pierre Christin et mise en image par Enki Bilal, le commando improvisé tente, souvent en vain, de déjouer les actions terroristes de l’Ordre noir. Cette course au travers de l’Europe de l’Ouest offre aux lecteurs un panorama de la nouvelle gauche dans le contexte désenchanté de la fin des années 1970. D’une part, ces seniors ont pour obsession de se venger de leurs ennemis, qu’ils connaissent déjà pour les avoir combattus pendant la bataille de Teruel (1937-1938) ; d’autre part, ils réalisent que leur mission ne leur apporte qu’amertume et un arrière-goût d’existentialisme morbide.
À première vue, Les Phalanges de l’Ordre noir ne s’intéresse qu’indirectement à la guerre d’Espagne. On n’y trouve aucune analepse et la trame se déroule exclusivement sur une année, entre janvier et la fin 1979. Cela dit, la mémoire du conflit est omniprésente, car le fil rouge du récit est en fait la déconnection entre la vieille gauche et la génération (post-)soixante-huitarde. Ce fossé générationnel ressort à plusieurs reprises, quand les protagonistes rencontrent des féministes radicales, des membres de la Fraction armée rouge et des anarchistes suisses. Ils réalisent alors que la guerre d’Espagne ne suscite aucun intérêt dans la nouvelle gauche et que leur commando ressemble à une relique du passé, chaque personnage représentant une tendance des Brigades internationales – le marxisme, l’anarcho-syndicalisme, la démocratie chrétienne, le sionisme travailliste, etc.
Cependant, ce roman graphique souligne aussi les continuités entre l’entre-deux-guerres et les années 1970, surtout pour ce qui est de la nature internationale de la gauche radicale. Quoique la Brigade Lincoln fût majoritairement anglophone, elle comportait aussi des éléments d’Europe continentale et d’ailleurs. Ainsi, outre un journaliste anglais et syndicaliste américain, le commando inclut une écrivaine polonaise, un aristocrate français, un agent du Mossad, un juge italien, un universitaire allemand, un ingénieur dissident du Parti communiste tchécoslovaque et un politicien danois. Quant à l’Ordre noir, il est presque aussi cosmopolite, avec des phalangistes, d’anciens membres de la légion Condor, des rexistes (belges) et des fascistes français et italiens.
Les auteurs ne sont évidemment pas des spécialistes de la guerre d’Espagne. Cela dit, Les Phalanges de l’Ordre noir offre une perspective sophistiquée sur le sujet et évite les écueils de l’idéalisation des Brigades internationales. Ainsi, dans les instants précédant l’escarmouche finale, le narrateur conclut que les membres de l’Ordre noir sont des « vieillards infâmes observés par d’autres vieillards peut-être tout aussi infâmes… Peut-être méritaient-ils l’enfer et sans doute le méritions-nous autant qu’eux » (p.78). Il s’agit donc là d’une œuvre dysphorique, d’une réflexion sur la gueule de bois idéologique dont la gauche socialiste souffre depuis les années 1950.
AB-V